Faire pareil mais différent
Ce petit slogan est une maxime que l’on trouve dans le célèbre livre sur l’écriture de scénarios « Save The Cat ». Le principe est que l’on peut reprendre la structure exacte d’un film, en changer thème et protagonistes et obtenir un nouveau film qui sera très différent du premier mais pareil d’un certain point de vue.
Et si on pouvait faire pareil en stand up?
Quand je pense « faire pareil mais différent » en écriture, c’est introspectif. Je reviens de temps en temps sur des sketchs que j’ai écris, que j’aime bien mais qui n’ont jamais décollé, parce que : -pas assez solide pour faire des festivals / pas assez puissant pour aller en plateau / pas clairs
Ces sketchs n’étaient pas tout ça car pas assez joués…et vous savez pourquoi ils n’étaient pas assez joués? Parce qu’ils n’étaient pas tout ça…c’est un cercle vicieux.
Avec l’expérience, tout peut s’améliorer
Des fois il est bon de se dire que fort des dernières scènes, des derniers progrès, on peut se remettre à travailler un sketch que l’on apprécie sur le principe et lui donner la puissance acquise avec l’expérience.
J’ai un sketch qui raconte l’inscription à la maternelle de mon fils. A la base l’angle du sketch était « être père c’est comme jouer à un jeu vidéo où je perds tout le temps ». Je perds parce que j’ai acheté un appartement au mauvais endroit, parce que je ne sais pas bien m’occuper du gamin etc. J’aime bien cette approche car il y a une originalité à reprendre le vocabulaire du jeu vidéo et à narrer des aventures de père avec. Si on ajoute le fait que ce sont deux sujets qui m’intéressent profondément et font partie de ma vie quotidienne, on a un match !
La deuxième partie du sketch raconte ma rencontre avec la directrice de la maternelle catholique, qui me demande si je crois en Dieu. Il y a une logique à enchainer les deux histoires et quoi de plus puissant intellectuellement que de parler de Dieu ou de sa non-existence.
Mon angle est : « Non je ne crois pas en Dieu mais je crois en un nombre incalculable de choses comme les aliens, les illuminatis, les reptiliens etc »
L’inventaire des trucs fous que je raconte dans cette partie me fait beaucoup rire mais le public moins.
Identifier les soucis initiaux
En prenant du recul et en revenant sur ce sketch j’ai réalisé que :
- Comparer la parentalité à un jeu vidéo c’est assez puissant pour faire un sketch en entier. Toutefois la façon de le jouer ne correspond pas à mon stand up. Ca me fait trop rentrer dans un système dans lequel je ne suis pas à l’aise. Ca serait peut-être un excellent sketch “high concept” avec des effets sonores et lumineux, pour un performer plus physique que moi.
- La partie sur mes croyances est bien sur le principe mais il manque de « punchlines ». Il faut que chaque affirmation loufoque puisse obtenir un rire franc dans son prémisse et encore plus d’effet sur le développement.
- La façon de jouer cette partie est très particulière car c’est un « délire paranoïaque » donc je ne dois pas chercher mes mots bien au contraire. Je dois pouvoir formuler des phrases complexes, des pensées délirantes avec la précision de quelqu’un qui ne pense qu’à ça toute la journée. Sans mémorisation ultra précise, cette phase est confuse et perd de son efficacité comique.
J’ai donc une introduction à base de jeu vidéo que je n’assume pas et une phase paranoïaque que j’aime bien, que je dois améliorer et apprendre à mieux jouer.
Tester d’autres imbrications
En écrivant régulièrement et en testant de petites séquences, on se retrouve avec du “matériel” disparate qui cherche encore une place pour s’insérer dans un set, un sketch ou un spectacle.
Le fait d’éprouver beaucoup de petits passages en scènes ouvertes et plateaux, m’a poussé à introduire ce sketch par une histoire qui n’a plus rien à voir avec les jeux vidéos. Cette fois si je pars d’un fait réel qui concerne le lieu où j’habite « C’est le quartier le plus pauvre d’Europe d’après l’INSEE».
Commencer un sketch avec cette idée est assez judicieux car ça me situe très vite et donne une grille de lecture aux spectateurs immédiatement : d’où je viens, qui je suis, pourquoi ils peuvent entendre un accent quand je m’exprime, mon point de vue de mec “riche” dans un quartier pauvre etc…
L’articulation avec la deuxième partie du sketch où j’inscris mon fils dans une école maternelle catholique est naturelle : “Je l’inscris là, car c’est la seule école correcte du quartier“. Il y a une logique narrative qui s’impose et rend la transition intellectuelle fluide
Autre forme, même fond
Pour moi c’est “la même chose différemment” par rapport à la première version car les informations que je veux faire passer, sont transmises d’une autre façon au public. “Etre parent à un jeu vidéo où on perd tout le temps” est devenu “Je suis un papa qui élève son fils dans un quartier très pauvre”. Le deuxième postula induit le fait que c’est dur, que c’est pas la joie d’habiter dans ce quartier et d’imposer ce choix à un enfant etc.
La seconde partie sur l’école maternelle catholique que j’aime est conservée. L’impératif de devoir réussir cette inscription est rendu plus fort par le contexte du quartier difficile, les enjeux sont donc plus élevés et mieux perceptibles pour le public. Je n’ai pas eu tant à réécrire cette partie, le travail a plus été au niveau de la mise en scène et de la mémorisation.
Pas de matériel perdu
Il n’existe pas une ligne écrite qui soit perdue. Chaque blague écrite fait partie d’un chemin. Des fois il faut avancer, d’autres il est bon de retourner sur le chemin voir s’il n’y a pas de belles choses à retenir et revaloriser.
Gardez les versions intermédiaires de vos sketchs : une idée, une tournure de phrase, un effet de mise en scène…autant d’éléments à sauver et réutiliser. C’est ça qui va polir votre écriture : votre capacité à revenir sur les mêmes idées.