Quand une histoire nous arrive, elle comporte de nombreux éléments factuels. Quand on veut la raconter et la rendre drôle, il faut savoir s’abstraire du réel et basculer dans la comédie quitte à exagérer, mentir et extrapoler.
Utiliser différentes versions
Imaginons l’histoire suivante : “Après dix minutes d’attente à la caisse du supermarché, quand enfin c’est à moi la caissière se lève et part…je n’ai pas compris ce que je devais faire” C’est factuel, ça vous est arrivé, appelons cette histoire la version A.
Essayons maintenant d’extrapoler, de proposer une version B qui soit juste une version améliorée de la version A où vous êtes plus malin plus réactifs, plus cool etc. La version B est toujours évidente, c’est une version A améliorée. ““Après dix minutes d’attente à la caisse du supermarché, quand enfin c’est à moi la caissière se lève et part…je lui demande où elle va, elle me dit que c’est sa pause…”
Dans la version B, au lieu de subir le départ, vous avez le réflexe de parler avec la caissière et elle vous répond quelque chose d’assez absurde. Sa réponse peut ouvrir la porte à de nombreux développement comiques : que ce soit sur son respect vigoureux du code du travail, son absence d’implication, notre méconnaissance du métier de caissière…
Avec cette version B on ouvre une porte assez logique.
Ce qui est intéressant c’est le version C…celle où je change de gros paramètres : les objets parlent, les interlocuteurs ont des réactions délirantes, on fait des choses au delà du réel.
“Après dix minutes d’attente à la caisse du supermarché, quand enfin c’est à moi la caissière se lève et part…Je me dis “Peut-être qu’elle veut que je la remplace…Alors je commence à scanner moi même les produits. Quand j’ai fini je paye et il y a le type derrière moi qui me tend son panier…Comme je suis là, je me dis “ok je vais l’encaisser aussi” Je suis aujourd’hui manager d’un petit Casino”
Le prémisse est exactement le même que la version A, on garde l’anecdote originelle mais on twiste complètement la suite pour rendre ça fou. La version B et la version C peuvent toutes les deux être exploitées pour faire un sketch.
Les détails importants pour vous ne le sont pas pour tout le monde
Imaginons que la version A soit “Après dix minutes d’attente à la caisse du supermarché bio, quand enfin c’est à moi la caissière qui est une grande blonde se lève et part en téléphonant...je n’ai pas compris ce que je devais faire, j’étais énervé j’ai changé de caisse”
Tous ces détails sont vrais pour vous et vous serez peut-être tentés de les inclure dans la narration. Prenez cependant le temps de voir s’ils apportent quelque chose à votre histoire, s’ils sont des éléments de contextualisation ou de caractérisation forts.
– “Après dix minutes d’attente à la caisse du supermarché bio” : le fait que ce soit un supermarché bio peut être intéressant si c’est un élément que vous exploitez par la suite. Sinon inutile de le préciser.
– “quand enfin c’est à moi la caissière qui est une grande blonde” : ça n’apporte rien en matière de caractérisation. C’est vague et ça ne sert aucun propos. Par contre si la caissière est une naine unijambiste qui se sert d’une trottinette pour quitter sa caisse, là ça devient intéressant !
– “se lève et part en téléphonant” : ce qui est intéressant dans l’action c’est qu’elle part. Le fait qu’elle téléphone n’apporte rien sauf si la conversation que vous entendez est surprenante du type : “Il n’y a plus personne à la caisse, je prends ma pause”.
-“je n’ai pas compris ce que je devais faire, j’étais énervé j’ai changé de caisse” : Si vous vous en tenez à cette version alors vous fermez de nombreuses portes de développement. Ok ça vous est vraiment arrivé mais c’est de la comédie, oubliez cette partie désagréable et imaginez votre version B et C où justement vous ne quittez pas la caisse, où vous décidez peut-être aussi de faire une pause ou de devenir caissier intérimaire. On peut même imaginer une version D ou vous changez de caisse et après dix nouvelles minutes à attendre, quand c’est enfin à votre tour, la caissière prend sa pause.
Je reçois souvent des textes en script doctoring qui sont noyés de détails inutiles ou dirigés par une logique réaliste peu comique. Ca saute aux yeux et pourtant ça échappe à celui qui écrit car comme il a vécu l’histoire, il veut que ça colle à la réalité. Sur scène la réalité est celle que vous racontez, donc tant que les spectateurs adhèrent, l’histoire est vraie pour eux ! Tant pis si elle est composée à 99% d’extrapolations et d’inventions, c’est bien ça qu’on vous demande : être un miroir déformant de la réalité.