Combien de comiques pensent que dire « putain » à la fin d’une vanne est une chute correcte ? Beaucoup trop. Et si travailler “clean” était une façon de mieux travailler?
Clean c’est quoi ?
Si on a commencé à utiliser le mot “clean” / “propre” pour la comédie c’est en réaction à une autre forme de comédie plus “trash”. C’est au cours des années 80 que cette cission s’est opérée aux USA. Alors que certains comédiens comme Andrew Dice Clay ou Howard Stern usaient et abusaient des insanités dans leur show, que d’autres comédiens se joignaient à cette mouvance, certains ont vu là un créneau de différenciation. Et si l’avenir était de travailler sans jurons, sans insanités? C’est ainsi qu’en 1990 est née l’agence Clean Comedians et que son créateur Adam Christing a publié ses 5 commandements de la comédie clean :
- Pas d’attaque sexiste
- Pas de blagues racistes
- Pas d’obscénités
- Pas d’allusions sexuelles
- Ne pas jurer pendant ses sketchs.
Il faut avouer que ça fait un peu rabat joie comme principes et que ça a l’air totalement antinomique avec le principe de liberté d’expression…
Le cas Jerry Seinfeld
Jerry Seinfeld ne fait rien de sexuellement explicite sur scène, il ne jure pas et n’essaye pas de vous faire saigner les oreilles avec des images crues. A-t-il toujours travaillé comme ça ou est-ce le fruit d’une réflexion ? En étudiant ses interviews, on découvre qu’il confesse des « fucks » dans ses sketchs à ses débuts dans le métier. Puis assez rapidement il s’en est tenu au crédo du « clean », est-ce que ça l’a desservi ? Heu, vous voulez vraiment que l’on parle de la carrière de Jerry ? On peut s’accorder sur le fait qu’il est devenu une icône du stand up.
Dans divers documents, on peut voir que le premier conseil que donne Jerry à de jeunes comédiens est : « Travaillez clean, c’est ce qui vous fera vivre ».
Sur la qualité du rire obtenu en étant vulgaire ou en jurant il dit “Une personne qui peut se défendre en utilisant un pistolet n’est pas très intéressante. Mais une personne qui se défend avec de l’aikido ou du tai chi? Très intéressant.”
Brian Regan
Dans une interview pour le site Nuvo.net, le comédien Brian Regan explique pourquoi il est adepte du “propre” : “Jouer propre n’est pas une décision que j’ai réellement prise. C’est juste la façon dont je fais la comédie. Le fait que ce soit propre c’est toujours un truc plus important pour les autres que ça ne l’est pour moi. C’est comme si certaines personnes cherchaient un moyen de décrire ce que je fais et qu’il n’en avait pas les moyens alors ils disent que c’est propre. Si vous vous baladez dans un musée et que vous regardez les peintures, la plupart peuvent être appelées propres mais les gens ne les décrivent pas comme ça même si elles le sont. Alors j’imagine que je travaille propre mais c’est pas vraiment le sujet. Des gens pensent que ça l’est mais pas pour moi. Je ne veux pas paraitre désinvolte mais vous savez, j’aime faire rire les gens avec une perspective comique unique. Je ne veux pas que ça donne comme si je m’auto-congratulais ou me félicitais mais c’est pas évident. Le rire, oui ça fait partie du truc, mais je veux un rire de bonne qualité, je ne veux pas recevoir des rires pour des choses faciles, j’aime recevoir des rires pour des choses uniques et originales. Heureusement, de temps en temps j’y parviens.”
Le spectacle Nunchucks and Flamethrowers est disponible sur Netflix France avec des sous-titres français.
Mon cas personnel
Quand j’ai commencé dans la comédie, j’avais à coeur de secouer le public, de le déranger. Que ce soit par mon langage en utilisant une panoplie de vulgarités pour décrire les gens ou par les situations trash que je décrivais. Avec l’expérience je me suis aperçu d’une chose me concernant : les gens qui étaient adepte du trash pouvaient rire à quelque chose de pas trash. Par contre les gens plus réfractaires, pouvaient passer à côté de mon propos s’il était enrobé d’éléments dérangeants.
J’aime le trash dans la comédie, j’ai toujours un appétit culturel pour les trucs limite-limite mais avec le temps et très naturellement mes sketchs ont totalement dévié de ce mouvement. Le changement s’est opéré quand j’ai commencé à jouer plusieurs fois par semaine en première partie de pièces de café théâtre. J’avais peu de temps pour me faire comprendre et le public venait assister à quelque chose de familial. Au début, je délivrais le matériel que j’avais et ça ne marchait pas très bien pour être honnête. Par la suite j’ai développé un matériel nouveau en me posant vraiment la question ” Qu’est ce que tu veux dire? Comment le faire comprendre à tous?”. Au lieu de partir de la forme qui était le “trash”, je suis partie du fond, du message à passer. En comprenant bien ce que je voulais transmettre j’ai pu y mettre une forme plus universelle. Bizarrement ce travail a été aussi dur que satisfaisant ! J’ai réalisé qu’en fait tout ce que je faisais depuis mes débuts dans la comédie n’était pas trash ou hardcore, en fait c’était profondément absurde mais les gens ne retenaient que l’enveloppe.
Je ne me compare ni à Jerry Seinfeld ni à Brian Regan, juste je livre un exemple réel et franco-français. En me défaisant de l’aspect trash, j’ai pu aboutir à des sketchs dont je suis encore plus fier et qui m’accompagnent partout. Entre ça et l’expérience accumulée, de nouvelles portes se sont ouvertes : plateaux d’humour, festivals, TEDX…
Le clean c’est autant dans les mots que dans les idées. C’est un choix personnel, le choix de ne pas tomber dans la facilité, le choix de toucher un public, le choix d’être en accord avec soi-même. Le plus important reste que la forme que vous donnez à votre sketch soit bien la meilleure façon de transmettre le fond de votre pensée.