En humour certains prennent des raccourcis en copiant ou en s’inspirant fortement des blagues d’autrui. Est-ce que c’est grave ou même important?
Une culture de la copie bien française
Depuis les années 80 la France a développé une certaine culture de la copie en humour. Certains auteurs ont pillé la matière humoristique en provenance des Etats-Unis et d’Angleterre à une époque où l’information était moins accessible. Ainsi ces auteurs se sont rendus plusieurs fois physiquement aux USA et ont pris des notes. Ces notes ils les ont distillées dans des sketchs d’humoristes, dans des sitcoms, dans des films et dans des émissions de télévision.
On peut comprendre la démarche : ils sont arrivés dans un supermarché et ils n’ont eu qu’à se servir sachant qu’aucun vigile n’était là pour contrôler. D’après les témoignages que j’ai reçu de certains auteurs et metteurs en scène : il est question de milliers de blagues, archivées dans des classeurs, prêtes à être exploitées gratuitement.
C’est avec l’avènement d’Internet et une plus grande diffusion de la culture que ces mêmes auteurs et comédiens ont été épinglés. S’ils ne se sont pas faits prendre par le vigile à la sortie, ce sont les consommateurs qui ont pu découvrir par la suite que le “matériel” était volé.
Des fois cela a porté un réel préjudice à la personne qui a volé, des fois cela n’a été qu’un minuscule caillou dans une chaussure luxueuse. L’important n’est pas là, le principal est que les comédiens à l’échelle mondiale ont réalisé que leur matériel pouvait aisément être “pris” et que les voleurs ne pouvaient plus agir en toute quiétude.
Aux USA la culture est un produit
Le droit d’auteur Américain est différent du droit d’auteur hexagonal.
Les auteurs américains peuvent notamment déposer leurs oeuvres à The Writers Guild qui permet notamment de poursuivre en justice quiconque utilise votre œuvre sans en avoir les droits.
Par contre et pour simplifier au maximum, aux USA, le droit d’auteur est cessible, comme un produit. C’est à dire que vous pouvez écrire une blague et la vendre sans plus jamais en réclamer la paternité ou l’usufruit. Elle ne vous appartient plus et vous pouvez renoncer aux droits liés à son exploitation.
En France, le droit d’auteur est inaliénable, vous êtes et serez toujours l’auteur de vos écrits et vous percevrez toujours les droits liés à leur exploitation.
Acheter et vendre des blagues
Cette nuance est importante car on pourrait imaginer un monde où tout le monde est honnête.
Un comédien français en vacances aux USA trouverait particulièrement géniales certaines blagues de comédiens. Il pourrait aller les voir et leur dire : “Je pense que ta blague vaut X $, j’aimerais te l’acheter. Nous allons établir un contrat qui fixe les modalités de cette transaction si tu es d’accord“.
Il reviendrait en France avec des blagues qui n’ont pas été écrites par lui mais qu’il a le droit d’exploiter comme si c’était les siennes, le tout sous couvert d’un contrat visant à garantir les droits des différents protagonistes. Ce contrat pourrait même stipuler que le nom de l’auteur de la blague n’a jamais à être rendu public, que personne ne doit le dévoiler etc. On est dans la vente d’un produit et il y a consentement mutuel à son exploitation.
En France, un auteur restera toujours un auteur, il ne peut pas céder la paternité d’une création intellectuelle…Mais rien n’empêche un comédien d’aller voir un autre comédien et de proposer : “J’aime particulièrement cette blague, est-ce que je peux l’utiliser dans mon spectacle en échange de X € et de Y % de droits d’auteur sur mes spectacles“.
Ne pensez pas que cette pratique n’existe pas! Certains humoristes font la démarche “d’acheter” des blagues à l’étranger et d’autres de proposer des deals de co-écriture à des Français. Cela ne pose aucun problème d’étique, tout le monde peut s’y retrouver dans ces échanges. En tant qu’auteur vous avez tout intérêt à ce que vos oeuvres soient exploitées un maximum et qu’elles génèrent des revenus constants.
Le soucis vient du fait qu’aujourd’hui beaucoup ont pris sans déclarer à l’auteur et donc ne se sont pas inscrits dans une démarche de contrepartie.
A partir de quand on peut parler de plagiat?
Attention, ce qui va suivre ne suit pas scrupuleusement le cadre établi par la loi mais plus une vision du plagiat construite autour des différentes interventions qu’ont pu faire les comédiens/auteurs US et les comédiens/auteurs français.
Une blague de base est constituée : d’une prémisse, d’un angle et d’une punchline. Certains considèrent que l’on peut partager la prémisse et l’angle avec quelqu’un d’autre du moment que la punchline est différente. D’autres pensent que l’on ne peut partager que la prémisse ou l’angle pas les deux…
Le plagiat tel qu’il a été pratiqué par les Français dans le stand-up a été d’une part littéral (traduction et copie d’une blague) mais aussi camouflé (traduction ou emprunt d’une blague et modification cosmétique des éléments constituants). Cette forme de copie est la plus difficile à mettre à jour car elle ne s’attaque pas aux mots employés dans la blague mais à l’essence même de la blague : sa dynamique, sa magie.
Ainsi en changeant des détails, en localisant l’action ailleurs, en modifiant les protagonistes, certains copient exactement une blague tout en ne partageant plus un mot commun avec. C’est la forme la plus vicieuse de plagiat et la plus dure à démontrer.
Expérience personnelle : On ne m’a jamais “pris” des sketchs entiers, par contre on a copié quelques fois l’essence d’un sketch, sa dynamique en changeant des détails d’enrobage.
De la même façon on m’a “emprunté” des micro-détails, des éléments qui ne sont pas des blagues mais des attitudes, des petits trucs qui ne se trouvent qu’avec le temps et la pratique. Ces éléments sont impossible à défendre en droit, donc il faut accepter qu’il nous échappe…A choisir je préfère largement qu’on me prenne une blague entière plutot que ces micro-détails qui sont particulièrement durs à trouver.
Protéger ses textes…
Vous pouvez protéger vos textes mais cela ne sert dans un premier temps qu’à prouver l’antériorité de vos écrits. C’est à dire que si votre texte est déposé/enregistré, on peut dater sa création et s’il est copié on peut mettre en avant le fait que la copie est bien arrivée après votre dépôt.
La mauvaise nouvelle c’est que même avec une preuve d’antériorité garantie, les démarches sont longues et incertaines pour faire valoir vos droits d’auteur. Surtout que les plagiaires ont tendance à “s’approprier” les textes en les modifiant légèrement ou à n’en conserver qu’une partie. Il devient dur d’intenter une action en justice pour une ou deux blagues volées…A ce jour, il n’existe pas à ma connaissance encore un seul cas de condamnation légale pour plagiat en stand-up en France.
Ne tombez pas dans la facilité
Quand on trouve quelque chose de brillant, on est toujours tenté de le reproduire. Face à l’ingéniosité de certaines blagues, à la force de certaines idées on peut se dire ” Hum, celle ci, elle irait trop bien dans mon sketch“.
Au niveau amateur, les chances de se faire “prendre” sont minimes ! Quand on voit les conséquences au niveau professionnel c’est d’autant plus alléchant.
Pourtant en “prenant” à quelqu’un d’autres vous allez passer à côté de l’intérêt principal du stand-up : vous exprimer. Cet art est une extension de vous-même, si vous trichez alors vous tordez aussi votre réalité, vous n’êtes plus vous même mais la copie de ou le plagiaire de…
Il y a en stand-up une forte notion de réalisation de soi, si vous biaisez cette notion alors vous occultez les vertus de la disciplines
Si vous copiez ou citez, dites le !
En scène ouverte il n’y a à mon sens aucun mal à jouer un sketch qui n’est pas le sien : un sketch des Inconnus, d’Eli Kakou, d’un stand-uper américain etc…Il n’y a pas d’obligation à jouer ses propres sketchs, par contre il est nécessaire de citer ses sources et d’annoncer clairement la couleur. Vous interprétez un texte qui n’est pas le votre sans en faire commerce, c’est toléré.
Exemple personnel : lors d’une soirée hommage à ses “modèles comiques”, on m’a demandé de jouer et de faire un découvrir un sketch que j’appréciais particulièrement. J’ai donc pu faire découvrir à un public qui ne connaissait pas du tout des blagues de Louis C.K et Demetri Martin. Le contexte était clair, j’étais juste là pour interpréter du matériel qui ne m’appartenait pas et le faire découvrir à un public qui ne le connaissait pas.
Le plagiat est une réalité qui a entachée le monde du stand-up francophone. Maintenant que l’information est plus répandue il appartient à chacun de suivre les bons usages et d’inciter les autres à le faire. L’époque où le sujet était tabou est révolue.