Quand on commence dans l’écriture, on peut manquer de repères pour structurer ses pensées et son cheminement. Découvrez un exemple complet qui part d’une idée simple et qui va jusqu’à un sketch.
Un petit guide illustré
Vous êtes nombreux à avoir demandé un exemple d’écriture de blague/sketch de sa naissance à sa construction totale. L’exemple soumis dans cet article est 100% neuf, le cheminement intellectuel a été réalisé en direct, en mentionnant le maximum de notions possibles. Certaines feront l’objet de nouveaux articles, d’autres ont déjà eu droit à des publications dédiées, il suffit de cliquer sur les liens hypertexte.
La prémisse
Pour cet exemple, tout part d’une observation simple mais précise. Comme nous l’avons noté dans cet article, plus l’observation est aiguisée plus il sera facile d’en tirer un matériel original.
Ma base de réflexion : Ce qui m’a récemment interpellé c’est en allant faire l’essence à la station essence, pour payer avec la carte bleue, il fallait taper son code sur un écran digital. Jusqu’a présent il y avait un petit clavier en relief, avec les chiffres en braille, qui permettait, même en étant malvoyant de pouvoir retirer de l’argent. Dans un premier temps j’ai été surpris parce ce changement ( prémisse) puis j’ai pensé aux malvoyants ( angle) et enfin j’en suis arrivé à la conclusion : mais en fait les malvoyants n’ont rien à faire à une station service ( un début de punchline)
Poser la situation
J’ai donc plusieurs éléments à ma disposition : un décor de base (la station service), un protagoniste (moi qui fait de l’essence) et une observation (ils ont changé les digicodes).
Ma réflexion : Si je garde la situation à l’identique, je vais me retrouver à théoriser. C’est à dire qu’en rapportant la scène ça va donner synthétiquement “Je suis allez à la station-service, j’ai constaté qu’ils avaient changé les digicodes et qu’ils n’étaient plus accessibles aux malvoyants. Puis je me suis dit “mais en fait c’est bien qu’ils n’y aient plus accès“
Travestir la situation, une possibilité
Ce que je n’aime pas dans cette situation c’est que je suis le seul personnage et que je n’aurai alors qu’un point de vue et qu’un dialogue interne : ça va manquer de nuances et de dynamisme. Même si le stand-up se doit être proche de la vérité, il ne faut jamais hésiter à travestir un peu la situation.
Ma réflexion : J’aimerais bien que ce soit une autre personne qui fasse la remarque que les digicodes ne sont plus utilisables par les malvoyants. Cette personne apporterait l’information à moi et au public et je pourrais réagir de façon comique : “Je suis allez à la station-service, j’ai remarqué qu’ils avaient changé les digicodes, il n’y a plus les petits claviers comme au distributeur automatique, maintenant il y a une tablette comme un ipad et vous choisissez votre carburant et tapez votre numéro au même endroit. Il y a une femme qui est allée voir le caissier de la station service pour lui dire “Vous avez changé votre système pour payer ! Vous avez pensé aux malvoyants?”
J’introduis deux nouveaux personnages, un caissier et une femme. Je peux donc changer de point de vue , alterner de celui de narrateur à un point de vue personnel. Sans autre personnage j’étais coincé dans celui personnel. Ce qui m’arrange dans cette nouvelle configuration c’est que la femme qui intervient va se faire un peu la “voix du public”, elle va formuler une remarque qui je l’espère obtiendra l’adhésion des spectateurs qui se diront intérieurement “elle a raison, les malvoyants ne peuvent plus utiliser ces appareils alors qu’avec ceux avec les chiffres en braille c’est possible“.
La punchline et ses bébés
Maintenant que le contexte est posé, que les décors et personnages sont présents, je peux commencer le travail qui consiste à générer des rires. Je pourrais m’attaquer à “booster” la prémisse, à ajouter des éléments comiques dès le début, décrire la femme d’une façon marrante etc. Ca viendra plus tard, pendant l’optimisation de la blague, là j’en suis à la construction de base, je ne dois pas me laisser perturber par de l’analyse trop poussée, juste laisser le créatif s’exprimer.
Ma réflexion : Il y a une femme qui est allée voir le caissier de la station service pour lui dire “Vous avez changé votre système pour payer ! Vous avez pensé aux malvoyants?”. Et je me suis dit “Mais c’est exactement ce que l’on veut ! Que les malvoyants n’aient pas accès à la pompe à essence !”
A ce moment là je prends le contrepied de la femme et donc du public en leur disant : ne vous laissez pas avoir, ce qui vous semblait pas normal, l’est tout à fait, laissez moi vous expliquer pourquoi.
Ma réflexion : Et je me suis dit “Mais c’est exactement ce que l’on veut ! Que les malvoyants n’ai pas accès à la pompe à essence !”. C’est une situation perdant/perdant ! Si un malvoyant veut faire l’essence il y a 50% de chance qu’il arrive à verser 40 litres de carburant dans la poubelle.
La blague est construite classiquement, elle fait rire car la révélation qu’il verse dans la poubelle est surprenante car j’avais mis les spectateurs sur d’autres rails.
Flip Flap Flop
Il est temps d’appliquer une méthode que j’adore utiliser et qui fera l’objet d’un autre article, j’appelle ça : Flip Flap Flop. Je fais une blague (flip), je fais une réponse à la blague (flap) et je termine par une extrapolation (flop)
Ma réflexion : Et je me suis dit “Mais c’est exactement ce que l’on veut ! Que les malvoyants n’ai pas accès à la pompe à essence !”. C’est une situation perdant/perdant ! Si un malvoyant veut faire l’essence il y a 50% de chance qu’il arrive à verser 40 litres de carburant dans la poubelle. (Flip)
Il y aussi 50% de chance pour qu’il arrive effectivement à verser 40 litres d’essence dans le réservoir de sa voiture. C’est à dire qu’on se retrouve avec un malvoyant qui a 500 kilomètres d’autonomie pour semer le chaos et la destruction aveuglément. (Flap) Littéralement aveuglément.
Pour construire le Flap, le pendant de la première blague, je reprends les éléments et je les détourne. Dans un premier temps j’ai dit “S’il se loupe ça donne ce résultat” et après je dis ” S’il réussit ça donne ce résultat”. A ce stade je commence à trouver des tournures des phrase assez précise et efficace “500 kilomètres d’autonomie pour semer le chaos et la destruction aveuglément” Je garde toujours les mêmes éléments : l’essence, la voiture, le malvoyant, mais je les mets dans une situation différente et surprenante.
L’extrapolation
La blague pourrait s’arrêter là mais cela me pose un problème majeur : j’ai investi pas mal de temps dans la prémisse et je n’ai pas encore le retour que je souhaite. Plus je passe du temps à poser une situation plus je dois l’exploiter, c’est une question de rythme. C’est là qu’intervient le Flop, l’extrapolation, ce moment où j’ouvre une porte inattendue, quelque chose en rapport avec les éléments de base mais que personne n’aurait jamais pensé voir arriver.
Ma réflexion : Si un malvoyant veut faire l’essence il y a 50% de chance qu’il arrive à verser 40 litres de carburant dans la poubelle. (Flip)
Il y aussi 50% de chance pour qu’il arrive effectivement à verser 40 litres d’essence dans le réservoir de sa voiture. C’est à dire qu’on se retrouve avec un malvoyant qui a 500 kilomètres d’autonomie pour semer le chaos et la destruction aveuglément. (Flap) Littéralement aveuglément.
La seule bonne nouvelle c’est que si vous avez un accident avec un malvoyant, ça va forcément être à votre avantage, même si c’est vous qui grillez la priorité. Au moment de remplir le constat….(pause) : “laissez moi dessiner la situation, ne vous inquiétez pas.” (Flop)
L’extrapolation vient du fait d’imaginer une situation où on a un accident avec un malvoyant. La punchline va tourner autour de l’idée que c’est nous qui allons forcément remplir le constat et qu’on peut se jouer d’un aveugle facilement…Ca ne veut pas dire que c’est la forme définitive que prendra la blague, mais dans un premier temps c’est ainsi que je veux exploiter cet ultime retournement de situation.
La blague complète 1.0
Je suis allez à la station-service, j’ai remarqué qu’ils avaient changé les digicodes, il n’y a plus les petits claviers comme au distributeur automatique, maintenant il y a une tablette comme un Ipad et vous choisissez votre carburant et tapez votre numéro au même endroit. Il y a une femme qui est allée voir le caissier de la station service pour lui dire “Vous avez changé votre système pour payer ! Vous avez pensé aux malvoyants?”
Et je me suis dit “Mais c’est exactement ce que l’on veut ! Que les malvoyants n’aient pas accès à la pompe à essence !”
Si un malvoyant veut faire l’essence il y a 50% de chance qu’il arrive à verser 40 litres de carburant dans la poubelle.
Il y aussi 50% de chance pour qu’il arrive effectivement à verser 40 litres d’essence dans le réservoir de sa voiture. C’est à dire qu’on se retrouve avec un malvoyant qui a 500 kilomètres d’autonomie pour semer le chaos et la destruction aveuglément. Littéralement aveuglément.
La seule bonne nouvelle c’est que si vous avez un accident avec un malvoyant, ça va forcément être à votre avantage, même si c’est vous qui grillez la priorité. Au moment de remplir le constat….(pause) : “laissez moi dessiner la situation, ne vous inquiétez pas.“
L’optimisation de la blague
Pour optimiser la blague je vais y appliquer les 3 lectures et les critères d’analyse évoqués dans cet article. Sans entrer dans le détail, je vois que la prémisse est assez longue et qu’elle manque de dynamisme, elle n’est qu’informative alors pendant mes répétitions je vais voir si naturellement à l’oral je peux la rendre plus forte.
Par contre je vois aussi qu’une force du sketch c’est qu’une fois la prémisse passée, il y a du rythme, des blagues et des petits trucs en plus pour avoir plus de rires. Le Flip et le Flap me conviennent assez, la partie qui me chagrine est le Flop, l’extrapolation. La situation est marrante mais je vois que je peux aller plus loin, rendre ça plus dingue, capitaliser d’avantage sur la situation.
Je fais quoi maintenant?
La blague n’est pas parfaite, j’en suis conscient mais cela ne va pas m’empêcher de commencer à la jouer en public ! Je m’accorde le droit de jouer des sketchs imparfaits, ça fait partie du processus. A force de jouer je vais mieux comprendre le rythme du sketch et trouver comment le rendre plus fort, pousser les idées plus loin etc. Ce qui fait que je vais insister c’est que j’apprécie ma blague et que j’y crois, à la fois techniquement et à la fois dans ce qu’elle raconte. Ce n’est plus une simple blague mais une phase.
En plus j’ai une autre blague sur les malvoyants, qui pourrait se greffer parfaitement à la suite puisqu’il s’agit d’une histoire autour de la carte handicap spécifique qu’ont les malvoyants…Les effets des blagues ne vont pas s’additionner mais se multiplier car j’aurais déjà donné beaucoup d’éléments au public, je ne devrais pas expliquer le handicap , on reste dans une thématique facilement compréhensible.
Le cheminement pour trouver des blagues est propre à chacun. Peut-être que cet exemple vous donnera une méthodologie pour aborder vos prochaines séances d’écriture.