On a beau être seul sur scène et parler en son nom, il arrive que l’on incarne d’autres personnages, comment les créer et les utiliser?
Chaque personnage doit vivre
Une des faiblesses les plus courantes que je retrouve chez les jeunes auteurs c’est d’introduire des personnages dans leurs histoires qui ne sont que des clones d’eux même dans leur façon d’être/de parler et qui ne sont là que pour leur répondre…Il ne faut pas que les personnages que vous introduisiez ne soient que des prétextes, il faut qu’ils aient une vie et un intérêt dans l’histoire.
Trouver la vérité de la situation et la logique des personnages
Prenons pour exemple la situation suivante : vous avez eu un accident avec la voiture de votre père. Vous allez bien mais la voiture est cassée. Vous l’annoncez par téléphone à votre mère et elle réagit. Intéressons nous à ce dialogue entre votre mère et vous.
La façon la moins intéressante d’illustrer ses propos serait de les rapporter : “Ma mère m’a dit de ne pas m’inquiéter“.
On préfère en général tourner la phrase en direct : Ma mère m’a dit : “Ne t’inquiète pas“
C’est exactement la même information transmise au public, une fois rapportée, une fois dans un point de vue du personnage .
Ce n’est cependant pas encore suffisant. C’est une maman qui parle, est-ce que les mamans sont connues pour être concises? En général elles ont une façon particulière d’appeler leurs enfants et un vocabulaire propre. Une mère qui apprend que son fils a eu un accident ne va pas focaliser uniquement sur la voiture. Le dialogue serait logiquement du type : “Mon bébé, toi ça va? C’est ça le principal Le reste on verra avec ton père. Surtout tu ne t’inquiètes pas.“
Au niveau du vocabulaire et de la réaction on commence à se rapprocher de ce que pourrait dire une maman à qui on annonce une mauvaise nouvelle, nous ne trouvez pas?
L’incarnation
Maintenant que l’on a la logique du personnage, qu’elle prononce des paroles crédibles dans sa situation il faut l’incarner. Souvenez-vous que le message est transmis en majorité par le non-verbal, vous devez donner un maximum d’informations qui ne passent pas par le sens des mots.
Pour y parvenir il va falloir réfléchir à une attitude, une tonalité, une façon de faire qui diffère de vous. Pour reprendre l’exemple de la maman, je dois encore pousser ma réflexion : où se trouve-t-elle quand je lui annonce la nouvelle ? dans quel état d’esprit? comment est-elle habillée? etc…
C’est en répondant à ces questions que je vais avoir des éléments forts de caractérisations : elle dormait quand je l’ai appelée, elle est surprise, elle est en pyjama, elle ne veut pas réveiller mon père etc…
Elle est donc un peu endormie, un peu affolée, elle chuchote pour ne pas réveiller quelqu’un etc.
Conseil pour incarner plus facilement : copier
Je vous déconseille de partir de zéro pour créer un personnage…allez puiser autour de vous ! Quand je parle de mon père, ma mère ou mon frère, je vais chercher des traits caractéristiques réels que j’exagère : mon père a la voix cassé, ma mère s’exprime souvent avec des phrases interro-négatives, mon frère va toujours caser une référence à Star Wars…
De la même façon quand j’entends quelqu’un parler d’une façon bizarre, j’essaye de la refaire assez rapidement et de m’enregistrer. Ainsi je retiens ses tics de langages, son phrasé, son intonation etc…Plus je vais capter de détails, plus l’incarnation sera unique !
Le piège du lieu commun
Certains humoristes intègrent dans leurs sketchs des personnages qui sont des clichés ou des personnages que tout le monde fait de la même façon : le Parisien, l’adolescente, la caissière désagréable…Mêmes intonations, mêmes identités, on se retrouve face à un lieu commun pas face à une proposition originale.
Quand un tel personnage doit apparaitre dans vos sketchs, n’allez pas copier la façon dont quelqu’un d’autre le fait, trouvez votre propre voix.
Exemple personnel : les policiers Kenyans
Dans un sketch j’incarne deux policiers qui enquêtent sur un meurtre au Kenya. Les personnages de policier sont en général en humour des gens avec un accent marseillais ou des détectives façon Sherlock Holmes…
Quand au fait qu’ils soient Kenyans, il semble évident que se lancer dans une caricature de l’accent africain n’est pas de très bon goût.
Pour arriver à les incarner j’ai bien observé la dynamique entre les deux héros de la série Mindhunters. Ce sont deux profilers du FBI qui posent les jalons de la science comportementale. Un suit le protocole et respecte la hiérarchie, l’autre est brillant mais un peu tête-brulée dans son approche. L’un s’en tient aux faits, l’autre élabore des théories farfelues.
Mes deux enquêteurs sont donc devenus deux profilers, ils cherchent maintenant à la fois un coupable et à la fois un profil qui correspond aux meurtres. Pour le côté Kenyan, j’ai simplement cherché des noms crédibles (Mwangi, Kipruto ), pas besoin d’accent pour caractériser d’avantage, j’ai aussi situé ça dans des villes plausibles (Nairobi, Migori etc). L’action des meurtres a également changé, ce ne sont plus des coups de couteau mais des coups de machette qui tuent les victimes…
Cette histoire doit durer une minute dans mon sketch mais maintenant que j’ai bien pensé à la scène, aux personnages, je n’ai plus de difficultés à les faire vivre !
Proposer, tester, changer
De la même façon que l’on teste des variations de ses blagues, il faut aussi se laisser de la marge pour offrir des variations à ses personnages. Des fois la première idée que l’on a pour incarner quelqu’un n’est pas la meilleure. Il ne faut pas hésiter à repartir du début et voir comment une autre façon d’incarner servirait mieux la comédie. Soyez à l’écoute des retours que l’on peut vous faire, souvent c’est le public ou vos camarades comédiens qui vous donnent les clés pour mieux faire passer les messages.
Exemple personnel : Dans mes premiers sketchs mon frère avait une voix un peu débile et apportait toujours des éléments absurdes. J’ai vite compris que plus il aurait l’air “normal” de prime abord plus ses absurdités ressortiraient par effet de contraste. Depuis je l’incarne comme quelqu’un de sérieux mais qui dit n’importe quoi avec aplomb.
L’incarnation de personnages est assez subtile en standup, c’est sûrement un des réglages les plus importants à maitriser : consacrez-y du temps et de la réflexion, c’est payant !